Histoire del'Agriculture Biologique

100 ans d’évolution entre idéologie et technique

L’histoire de l’Agriculture Biologique est bien plus complexe qu’il n’y paraît coïncidant avec l’évolution et la révolution que connaissent nos sociétés fin XIXe et début XXe siècle.

1 / Un contexte historique :

La révolution agricole du  XIXe siècle
(ou l’abandon des jachères et assolement triennal du Moyen Âge)

Affiche_Nitrate_Le_GauloisParallèlement aux progrès de la mécanisation, début XIXe,  Justus von Liebig affirme dans sa Chimie organique appliquée à la physiologie végétale et à l’agriculture que les plantes contiennent des sels minéraux et qu’elles ont extrait des substances minérales du sol. Il conclut à la nécessité de restituer à la terre, par des engrais, les sels dont elle a été privée progressivement par l’absorption végétale. Très lentement, ces idées sont diffusées à la campagne.

  • Les engrais organominéraux : dès 1838, en France, on commence à fabriquer des engrais azotés et potassiques et l’usage des phosphates se généralise dès 1870.
  • « La guerre du Guano» : Les enjeux deviennent si important qu’en 1876, le Chili et le Pérou sont en guerre pour la conquête du seul gisement d’engrais nitrates connu.
  • Jusqu’en 1914, on se contentera de rechercher et d’exploiter les sources minérales d’engrais.
  • 1900, les premiers engrais chimiques : à partir de 1900, le Procédé Birkeland-Eyde permet de fabriquer des nitrates de calcium
La Première Guerre Mondiale : une guerre de la chimie

Fritz_HaberL’Allemagne, isolée des producteurs de nitrates, voit avec le « procédé Haber » la solution pour fabriquer, à bas coût, de l’ammoniaque à partir de l’azote de l’air. Si le procédé permet la production d’azote de synthèse pour l’agriculture, il permet également la fabrication d’explosifs ( tel le trinitrotoluène plus connu sous l’abréviation TNT)

  • Fritz Haber a activement travaillé à la mise au point d’armes chimiques et l’emploi du chlore comme gaz de combat.
  • La première épouse de Fritz Haber, Clara Immerwahr, également chimiste de formation, réprouve ce dévoiement de la science et se donne la mort quelques jours après la première attaque.
Le traumatisme de la Guerre :

gaz de combat premiere guerre mondialeC’est dans ce contexte d’une société européenne traumatisée par les horreurs d’une nouvelle forme de guerre INDUSTRIELLE et CHIMIQUE que vont émerger de nouveaux courants de pensée, d’autant que la population rurale constituait une part importante des contingents de soldats.

Il est évident qu’il y a un avant et un après Première Guerre mondiale, ce qui est assez déterminant pour comprendre la nostalgie d’un âge d’or où les traumatismes de la guerre n’existaient pas. D’autant que si l’agriculture moderne, tout autant industrielle et chimique que le récent conflit, apporte des réponses aux besoins immédiats, elle induit également dans le temps un certain nombre de problèmes techniques, agronomiques et sociaux qui ne se posaient pas jusque-là…

Synthèse de différentes  philosophies et techniques plusieurs courants fondateurs « d’une autre agriculture » vont émerger dans les 15 années d’après-guerre.

2 / Les courants fondateurs de l'Agriculture Biologique

1 / biodynamie :

Rudolf Steiner _1905Le premier est un mouvement ésotérique, l’anthroposophie, dirigée par Rudolf Steiner (1861- 1925); à la fin de sa vie, en 1924, ce dernier exposa son point de vue sur l’agriculture lors d’une série de conférences dans un domaine agricole de Silésie : ces textes serviront de base à la méthode biodynamique.

  • Erhenfried Pfeiffer (1899-1961) mit au point cette méthode qu’il expérimenta en Europe et aux États-Unis ; il propose une rotation des cultures sur des périodes de 5 à 7 ans, l’introduction de légumineuses et le compostage systématique des fumiers avec l’utilisation de 9 préparations biodynamiques ; il incite au retour à une civilisation paysanne.
  • Dès 1928, la société de commercialisation coopérative de Brandebourg, DEMETER, fut créée pour distribuer les produits biodynamiques.

 Le courant biodynamiste est toujours resté autonome par rapport aux autres courants d’agriculture biologique, mais malgré ses faibles effectifs, il a eu une action continue notamment en Allemagne, en Suisse et en Alsace.

2 / la méthode Indore :

méthode IndoreLe deuxième courant est initié par Sir Albert Howard et défini dans son ouvrage Le testament Agricole écrit en 1940. Il a consacré sa vie d’agronome  à aider les populations indiennes à se nourrir.

De ces observations naît la méthode Indore, procédé de compostage en tas ou en fosse pour maintenir ou améliorer la fertilité du sol et renforcer la résistance des plantes face aux maladies. Il préconise une large autonomie des exploitations grâce à cette fertilité retrouvée.

  • Son travail a été poursuivi par I.J. Rodale et la Soil Association. Ce courant est appelé « agriculture organique » ou « organic farming »
  • En France ses travaux seront pris en compte par les premiers agrobiologistes et notamment dans l’Ouest avec le groupe Lemaire Boucher.

3 / la méthode organo biologique :

engrais-organiques-bio-212388En Suisse, dès 1930, sous l’impulsion d’un homme politique, H. Muller insiste sur la nécessité d’autarcie des producteurs et de circuits courts. Mais c’est surtout le biologiste Hans Peter Rusch, dans les années 60, qui mettra au point la méthode organo biologique et la présentera dans son livre La fécondité du sol. Il conteste la fertilisation chimique…

  • Ses préoccupations sont proches de l’écologie naissante : il veut éviter les gaspillages, les pollutions et la dilapidation du potentiel de production grâce à une agriculture en grande part autonome ou s’appuyant sur une fertilisation organique, par l’apport de poudres de roches et par le compostage de surface des matières organiques. Il veut intégrer les progrès de la biologie à l’agriculture.
  • Ce courant sera particulièrement influent auprès des allemands de l’association Bioland et en France auprès de l’association Nature et Progrès.

4 / l’agriculture naturelle ou « sauvage »

permaculture1Le quatrième courant est celui de l’agriculture naturelle ou « sauvage ». Il est né au Japon à partir des années 1930, des observations de Masanobu FUKUOKA , consignées dans son livre « la révolution d’un seul brin de paille » .

  • Dans les années 70, Bill MOLLISSON (Australie) a travaillé sur ce mode de culture qui allait s’appeler plus tard la Permaculture. Cette méthode se propose d’intégrer le plus possible l’agriculture dans le milieu naturel.
  • La permaculture est encore très peu présente en Europe. On peut cependant la rapprocher de l’AGROECOLOGIE, développée notamment par Miguel Altieri en Amérique Centrale et qui influence fortement les mouvements d’agriculture biologique d’Espagne et d’Amérique Latine.

3 / L’après Guerre, l’influence nutritionniste :

vieclaireDes consommateurs et des médecins inquiets des effets de l’utilisation des engrais, des pesticides et des traitements effectués sur les produits alimentaires lors de leur transformation industrielle vont introduire les principes de l’agriculture biologique.

  • A la fin des années 40, Henri Charles Geffroy crée la revue et les magasins « La vie Claire » pour diffuser des produits sains et naturels.
  • En 1952, est créée l’AFRAN (Association Française pour une Alimentation Normale). Elle regroupe des médecins nutritionnistes et homéopathes. Dirigée par le Dr BAS, elle prône le retour à une alimentation plus saine et met en avant les qualités de la société paysanne traditionnelle.

 Suite à diverses divergences, une cession va s’opérer avec l’Agriculture Biodynamique, la démarche va se limiter à un mouvement de défense des consommateurs.

4 / Les années 60/70, les années de la contestation :

48Fi_003_W2_02Rurale, décennie 60 : En parallèle ou en réaction à la forte croissance de la production agricole en France, quelques centaines d’agriculteurs refusant ce modèle économique et technique adoptent les principes d’agriculture biologique, particulièrement dans l’ouest du pays, où la société LEMAIRE est implantée, mais également par certaines abbayes (Bellefontaine, La pierre qui Vire…) jouissance d’une influence religieuse non négligeable dans le milieu agricole…

Urbaine, décennie 70 : Le mouvement de contestation prolongement de mai 68 sera cette fois-ci essentiellement urbain, avec l’installation à la campagne d’une nouvelle population néourbaine ayant comme vision différente de la société, concrétisé avec plus ou moins de succès par la création ou la reprise de fermes agricoles. Ils trouvent dans Nature et Progrès, une forme d‘agriculture qui leur convient.

  • Mouvement plutôt anarchiste et libertaire, il sera à l’origine du premier cahier des charges de l’agriculture biologique en 1972, et le Salon Marjolaine à Paris première réelle promotion de l’Agriculture Biologique auprès du grand public.

Dans le même esprit Nature et Progrès, après avoir été à l’origine de la reconnaissant juridique française de l’AB, au début de la décennie 2010 , va se dissocier de la certification AB européenne et faire le choix d’une certification spécifique et privée.

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5 / Les années 80 : naissance officielle de l’AB (française)

A cette époque , il y a entre 3 et 4000 agriculteurs biologiques dont les motivations sont diverses, mais dont la principale conteste les aberrations de la Politique Agricoles Commune (PAC), notamment par ses surproductions non maîtrisées.

Sous la pression de Nature et Progrès, mais surtout de quelques personnalités politiques, l’agriculture biologique est reconnue dans la loi d’orientation agricole de 1980 complétée par celle de 1988. Le logo AB est créé et les premiers cahiers des charges sont homologués dans cette décennie.

 

7 / Les années 2000 : les années de la croissance

Fin 2013, l’agriculture biologique concerne plus de 25000 agriculteurs, et plus de 1 million d’hectares, soit presque 4 % de la SAU Française.

  • 2010 le 08/02, le logo AB n’est plus … obligatoire… Vive « l’Eurofeuille »

  • 2012, une particularité viticole :

Jusqu’au 8 février 2012, la réglementation européenne ne permettait qu’une certification des raisins et non du vin en lui-même. Officiellement et légalement le VIN BIO vient de naitre.

 

8 / Conclusion :

L’Agriculture Biologique telle que nous la connaissons n’est pas issue d’une pensée unique, mais est la convergence de plusieurs courants idéologiques et techniques.

Son histoire s’inscrit dans le temps en concordance avec l’évolution de notre société dans ses besoins mais également dans ses aspirations. C’est la raison pour laquelle : elle est une et en même temps plurielle…

Elle va au-delà de la simple notion de sécurité alimentaire, au-delà des simples notions environnementales et ne peut pas se résumer à une simple idéologie… Elle est tout simplement un tout, compréhensible uniquement en l’analysant dans sa globalité.

Mais le plus important, en regardant son histoire passée, c’est qu’elle n’est pas figée comme un dogme… Il y a de fortes probabilités que l’AB que nous connaissons aujourd’hui soit très différente de celle qu’elle sera demain.

 

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